Des problèmes sociaux et des NEET

Cet été (2005), j’étais en vacances au Japon et j’étais pu prendre connaissance d’un certain nombre de problèmes d’actualité là-bas. Alors que la modernisation ne cesse d’avancer, notre système de valeurs n’évolue pas dans le bon sens. Comme le taux de natalité est en diminution, il apparaît un phénomène d’ « enfants gâtés » dans la société. Lorsque ces enfants surprotégés atteignent l’âge de prendre des responsabilités, ils se trouvent très vite perdus dans une société compétitive. Ou devrais-je dire, ce sont plutôt les parents ayant vécu dans leur jeunesse en plein boom économique, et s’étant retrouvés ainsi d’une certaine manière protégés par une société prospère, qui n’ont pas su éduquer et préparer les enfants pour la société d’aujourd’hui.

N’étant pas née dans cette bulle économique et ayant dû faire face au moment où la compétition fut la plus dure (j’appartiens à la génération avec la population la plus large), je ne peux pas imaginer comment les jeunes d’aujourd’hui peuvent vivre sans travailler et comment ils pourront s’en sortir à l’avenir. Ils vivent en permanence chez leurs parents, qui leur fournissent tout ce dont ils ont besoin, et pensent qu’il en va aussi facilement pour toute chose. En cas de problème, les parents sont là également et leur viennent très vite en aide. En tous cas, il est un fait que ce phénomène est en train de devenir une véritable menace pour notre société.

Vous trouverez ci-dessous quelques mots-clés qui reviennent souvent sur les lèvres en ce moment au Japon.

Qu’est-ce q’un NEET?

NEET est un acronyme pour « Not in Education, Employment or Training » (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire). Il d’applique aux personnes entre 15 et 34 ans, qui ne vont pas à l’école ou n’ont pas de travail stable, ni la volonté de travailler. Au Japon, le nombre de NEET est estimé à environ 640 000 pour l’année 2004, nombre jamais atteint auparavant. Des organismes de recherche privés estiment qu’il pourrait gonfler à 1 200 000 d’ici à 2020.

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l’évolution de la population des NEET (de1993 à 2004)

Qu’est-ce qu’un FREETER?

FREETER est un anglicisme japonais. Il désigne les personnes qui travaillent à mi-temps pour vivre ou qui passent d’un petit job à un autre. Ils sont plus de 2 130 000 FREETERs maintenant au Japon. Certains disent que cette population rend difficile la tâche des entreprises, qui ne peuvent former du personnel qualifié, et contribue à affaiblir l’économie.

Les sources de cet article proviennent d’un des principaux journaux de presse au Japon, le Yomiuri.

L’assiduité au travail en question : sondage d’opinion par le Yomiuri

L’assiduité au travail est une des vertus japonaises. Pour faire simple, nous croyons que travailler dur est quelque chose de positif et nous le montrons. On dit : « si tu as du temps pour remuer tes lèvres (discuter), remues tes bras (travailles) ». De plus, arriver en retard au travail est inconcevable et faire des heures supplémentaires est une vertu considérée – et pratiquée. Certes, cela va quelque fois trop loin, ce qui est un autre problème dont nous parlerons plus tard, mais globalement cet affairisme, cette assiduité au travail a supporté notre économie. Nous nous devons de travailler dur car nous n’avons pas beaucoup de territoire ni de ressources naturelles.

Cependant, ces choses sont en train de changer maintenant.

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Ce graphique (ci-dessus) montre le pourcentage de personnes qui pensent que cette assiduité au travail perdurera à l’avenir, ou pas. En 1984, à peu près 60% des gens croyaient que l’assiduité resterait notre vertu et 30% pensaient le contraire. Au cours des années 2000, les deux courbes se sont croisées. En 2005, le résultat nous montre à quel point les gens sont inquiets.

Le pourcentage de personnes qui sont inquiètes que l’augmentation des NEET n’endommage notre société est de 91% au total. Si l’on analyse ces réponses en fonction de l’âge, plus de 90% des personnes âgées de plus de 40 ans et 80% des personnes dans leurs 20 ans se disent inquiètes. De plus, 73% des gens de plus de 60 ans se disent « très » inquiets de cette crise sociale, contre seulement 50% chez les jeunes de 20 ans.

Un économiste du travail, le professeur Higuchi de l’université de Keio, résumé : « plus ils sont âgés, plus ils s’inquiètent du style de vie des jeunes. Quand les personnes âgées de plus 60 ans étaient jeunes, il était dans l’esprit de chacun qu’ils devraient commencer à travailler après le lycée, et ils n’avaient pas ni le temps ni l’argent, bref aucun choix, de devenir des NEET. Pour cette raison, ils ne peuvent pas comprendre la vision de la jeunesse sur le monde du travail ».

Les facteurs qui causent cette explosion de la population des NEET sont les suivants, d’après les interrogés :

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54.5% des gens pensent que c’est parce que les parents gâtent trop leurs enfants.
50.4% : parce que de plus en plus de jeunes n’ont pas le sens des responsabilités
49.8% : parce que de plus en plus de jeunes ne sont pas capables de construire de bonnes relations avec les autres
41.4% : parce que la situation de l’emploi est difficile
29.9% : parce que les jeunes sont pointilleux dans leur recherche de travail
28.8% : parce que les jeunes ne développent pas leurs attaches avec la société
26.0% : parce qu’il n’est pas enseigné aux jeunes combien le travail est important

En analysant ces résultats, le professeur Higuchi ajoute : « c’est parce que le Japon est devenu riche et que les parents font tout pour leurs enfants. Les jeunes d’aujourd’hui sont nés dans une époque prospère et ils ne sont pas conscients qu’ils sont suffisamment âgés pour vivre indépendamment de leurs parents. En pensant à l’avenir du Japon, je me sens très impliqué par ce phénomène. Laissez les enfants avoir une vie si facile ne nous apportera rien de bon. »

Un célèbre auteur de manga, M. Hirokane, décrit la vie des salariés japonais ans son ouvrage « Kacho Shima Kosaku » (le chef de section Kosaku Shima). M. Hirokane dit : « notre approche de l’assiduité au travail a changé depuis la période de la grande croissance économique. Comme le montrent les historiens, quand une nation est prospère tout le monde travaille dur, mais une fois qu’elle est devenue riche, les gens travaillent de moins en moins. Maintenant le temps du Japon n’est pas fini, mais les jeunes devraient réaliser que notre richesse disparaîtra avec le temps ».
Le professeur Higuchi ajoute : « dans le passé, notre dur labeur payait bien, mais comme nous ne pouvons plus en attendre autant, la nation est en train d’abandonner. Maintenant, il est de temps de réfléchir à comment nous pouvons retrouver la même société que nous avions ».

L’âge de la retraite

Au Japon, beaucoup d’entre nous sont en train de réfléchir à combien de temps ils vont continuer à travailler, du fait du vieillissement de la société. Lorsqu’on leur demande si 60 ans est un bon âge pour partir en retraite à notre époque, 78% des personnes répondent Non. Ce qui est surprenant c’est que cette réponse a été donnée à hauteur de 80% par les gens entre 30 et 40 ans.

Lorsqu’on demande aux gens jusqu’à quel âge ils veulent travailler, 34% répondent jusqu’à environ 65 ans et 33 % aussi longtemps qu’ils s’en sentiront capable.

L’éthique sociale

La question posée aux gens était : « qu’est-ce que vous feriez si votre patron vous ordonner de faire quelque chose à l’encontre de l’éthique sociale, comme cacher des défauts sur de la marchandise ? ».
39% des personnes ont répondu « essayer de ne pas le faire autant que possible » et 29% « refuser ». Ainsi, à peu près 70% des personnes désobéiront, alors que 23% « feront cela contre leur volonté » et que 5% « feront cela pour le salut de l’entreprise ».

Au Japon, il y a beaucoup d’affaires concernant les problèmes d’éthique, comme la corruption et les pots-de-vin, et 72% des personnes disent : « c’est parce que les entreprises ont pour seul but le profit ». 47% disent qu’il y a une tendance parmi les entreprises à cacher des choses qu’elles ne veulent pas dévoiler pour ne pas être désavantagées ou ternir leur image. 44% pensent que la morale des managers est en train de se détériorer.

La situation des NEET dans 4 pays

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Le taux de chômage entre 15 et 24 ans
(La première ligne en haut concerne la Belgique, la deuxième le Royaume-Uni, la troisième le Japon et la dernière les Pays-Bas)

Au Royaume-Uni, la population des NEET a diminué de 40000 grâce à des conseillers spéciaux. Les conseillers rassemblent les jeunes et leur montrent comment recréer des connexions avec la société.

Aux Pays-Bas, une loi pour aider les jeunes (jusqu’à 25 ans) a été votée cette année (2005) et le gouvernement a donné plus de pouvoir aux régions pour qu’elles fournissent des services plus détaillés.

En Belgique a été introduit un quota légal d’emploi des jeunes dans l’entreprise. Par exemple, une entreprise qui a plus de 50 employés doit embaucher un minimum de 3% d’employés de moins de 26 ans. Avec ce système, 160 000 jeunes ont trouvé un emploi courant 2003.

La jeunesse japonaise

Une fois, j’ai été choquée de voir des lycéennes en train de manger leur déjeuner, assises sur le sol en face d’une épicerie (convenient store). Avant, nous considérions cela comme très malpoli de manger à l’extérieur, comme dans un espace public, dans le train ou dans la rue. Mais de nos jours, c’est en train de devenir une des scènes des grandes villes comme Tokyo. Personne ne leur fera aucune remarque. Comme il a déjà été dit, ils sont surprotégés : si quelqu’un fait une remarque à un jeune, sa mère arrivera et dira : « pourquoi le grondez-vous ? C’est mon fils !». Une fois, un petit écolier m’a une fois poussé avec son bras par derrière, pour se faire un chemin dans le métro. Sans dire le moindre mot ou le moindre geste de politesse. Comme je résistais pour lui donner une leçon et le forcer à demander pardon, il me regarda simplement de travers. Je me sens en fait désolée pour lui, car il ne reçoit probablement pas une bonne éducation des parents.

Leur capacité à communiquer se détériore aussi. Ils ne savent pas comment parler aux personnes agées, parce qu’ils lisent plus de bande-dessinées que de romans, ou parce qu’ils n’ont pas besoin de parler beaucoup dans leur vie quotidienne, tapant plus des messages sur leurs téléphones portables. Ils ne savent pas utiliser les termes honorifiques correctement. De même, il n’est pas étonnant qu’ils ne savent pas écrire correctement les caractères Kanji, puisque l’ordinateur, lors de la saisie, les cherche pour eux. L’écriture Kanji est une vraie difficulté pour tous les japonais mais les étudiants sont les plus concernés. Ils disent souvent : « Pourquoi devons-nous apprendre les kanjis, alors que nous avons des ordinateurs ou des dictionnaires électroniques ? ».

Parlons à propos de cette sous-culture japonaise, les mangas. Je me sens plutôt embarassée qu’ils soient si en vogue dans le monde entier. Certains sont très bien faits, comme ceux de M. Hayao Miyazaki. Ils portent de vraies histoires et des morales. Mais il y a énormément de mangas de pauvre qualité aussi, affectant le style de vie des enfants. Certains ne peuvent pas s’arrêter de lire les mangas jusqu’à la fin et à la chaîne, et en conséquence perdent toute concentration pour les études.

La journée typique des adolescents est de sortir avec l’argent de leurs parents, chatter avec l’ordinateur, envoyer des e-mails avec le téléphone portable et lire des bandes-dessinées. Parfois, de telles mauvaises habitudes peuvent entraîner des crimes parmi les jeunes. Ils développent des liens plus étroits avec leur ordinateur qu’avec leurs parents et ils perdent contact avec la réalité, loin de la société comme de leur famille.

Les enfants en maternelle portant des vêtements de marques de haute couture, ceux du primaire se maquillant et en possession d’un téléphone portable, les lycéens… tous ont bien plus que nécessaire pour vivre. Ils n’ont pas conscience de la valeur de chaque chose car elles leurs sont offertes et qu’il leur suffit de demander à leurs parents. Comment feront-ils lorsqu’il leur sera difficile d’obtenir ces choses par eux-même à l’avenir ?

C’est un problème très délicat à résoudre, mais je pense qu’un premier pas serait de changer un état de fait de la société où la corruption et les pots-de-vin sont ignorés. Nous devons créer un nouvel environnement plus sain afin d’y adhérer les jeunes. En d’autres mots, certains adultes devraient être réprimandés pour leur attitude avant que nous ne réprimandions les jeunes.

Certes, pour finir, tous les jeunes japonais ne sont pas ainsi. Il y a beaucoup d’étudiants très travailleurs aussi et mon métier d’enseignante consiste bien à essayer d’augmenter le nombre de ceux-ci !