Les japonais et le haji

L’obstacle du langage

Il s’agit toujours d’un véritable défi pour les japonais de voyager à l’étranger, à cause de l’obstacle de la langue. Le cliché typique qu’ont les étrangers des touristes japonais est celui d’un gros groupe de personnes voyageant par car entier. Pour nous, il est en effet plus sur de rester ensemble et nous nous sentons plus en sécurité en voyageant avec d’autres personnes parlant la même langue. De plus, nous ne pouvons pas compter trouver quelqu’un parlant le japonais dans un pays étranger. C’est pourquoi nous préférons les voyages organisés et que c’est une erreur de se moquer de ces voyageurs. Il serait plus embarrassant pour nous de demander quelque chose dans un langage, le japonais, qui n’est pas pratiqué dans le pays où nous sommes en visite.

Nous sommes aussi conscients que nous sommes supposés parler la langue universelle quand nous traversons la mer et que nous devrions essayer d’apprendre quelques mots du pays que nous visitons. C’est pour cette raison que beaucoup de japonais essayent désespérément d’apprendre l’anglais et que le business lié à l’éducation de l’anglais est très prospère au Japon, où se trouvent beaucoup d’écoles privées. Cependant, et c’est regrettable à dire, cette langue est si éloignée de la notre qu’il est difficile de la maîtriser. Il n’y a aucun lien entre ces deux langues aussi bien en grammaire qu’en prononciation – ni même les lettres. Quels que soient le temps et l’argent que nous dépensons pour l’anglais, le résultat n’est jamais aussi bon qu’espéré. Ainsi, notre anglais est souvent raillé par les anglophones ou les européens et nous avons l’étiquette d’avoir un bien mauvais niveau d’anglais.

Cela ne fait que contribuer à nous poser un problème psychologique. Quand nous sommes moqués, nous prenons ça comme un « Haji », que l’on peut traduire par « honte », et quand nous ressentons cette honte cela nous cause un certain traumatisme. Nous devenons réticents à parler l’anglais et nous pensons que nous avons besoin de plus de pratique ou d’entraînement. Beaucoup ressentent cette hésitation à leurs débuts, ce qui ne fait qu’empêcher encore plus leur progrès. Comme nous ne voulons pas ressentir une nouvelle humiliation, nous nous défendons en ne plus parlant ou en mettant plus de pression sur nous-même pour ne pas faire d’erreur, ce qui ralentit éloquence.

Ce trait de caractère a créé cette culture appelée « Haji-no-bunka », la culture de la honte. Nous ne blâmons pas les personnes offensantes pour nous avoir insulté, mais nous nous blâmons nous-même pour ne pas avoir étudié suffisamment et maîtrisé la langue pour que les autres nous comprennent. Nous nous sentons désolés par notre incompétence. Il s’ensuit beaucoup d’entraînement supplémentaire pour restaurer la confiance.

« Haji » est un des sentiments ayant le plus d’influence parmi les japonais.

Les problèmes en France

Comme vous pouvez le voir maintenant, nous prenons beaucoup de temps et d’efforts pour les personnes qui « ne peuvent pas comprendre le japonais », d’autant qu’il est beaucoup plus difficile pour un japonais ou un asiatique en général de maîtriser une langue étrangère – en comparaison avec les européens qui ont beaucoup de choses en commun dans leur langue avec l’anglais. Je ne suis pas surprise de voir des européens avoir un bon niveau d’anglais. Cela est beaucoup plus facile pour eux. Le problème est qu’ils ne sont pas conscients de la difficulté que cela représente pour les asiatiques de parler anglais.

Des amis japonais en visite à Paris m’ont raconté quelques unes de leurs terribles expériences.

L’un d’eux a appelé France Telecom pour demander l’installation d’Internet chez lui. Il parle anglais, mais il dut, contrairement à son attente, faire un long monologue pour expliquer tous les détails, principalement à cause du manque de volonté à travailler de son interlocuteur. L’opérateur français du SERVICE CLIENT INTERNATIONAL, ainsi supposé aider les clients étrangers, prononça simplement quelques mots et restait en ligne sans réellement écouter la demande du client. Comme on pouvait s’y attendre, le problème ne fut pas résolu dans les jours qui suivirent.

Il rappela ensuite le même service client, et trouva le même opérateur. Il se plaignit de la situation, alors que son accès ne fonctionnait toujours pas, et le représentant du service client lui répondit : « Allez à l’embassade du Japon si ça ne fonctionne pas », « rappelez quand vous parlerez mieux anglais ».

J’ai été particulièrement agacée d’entendre cette histoire. Une telle personne, dans un poste de service clientèle international, devrait essayer de comprendre le client mieux que quiconque, voire plus, car il n’est ni français ni anglais. C’est son métier d’aider les étrangers. Il ne s’agit pas d’un inconnu dans la rue mais d’une personne responsable d’un poste dans son entreprise. De plus, il s’agit d’une grande entreprise. Est-ce notre faute si nous ne pouvons pas parler parfaitement français ou anglais ? Pouvez-vous parler parfaitement le japonais quand vous visitez le Japon ? Je peux voir la qualité de cette société.

Au Japon, il est peut-être quelquefois difficile de trouver quelqu’un qui peut vous aider dans la rue. Mais une chose est sure, nos grandes entreprises ont du personnel qualifié et, d’une manière général, nous sommes conscients de la difficulté pour les étrangers de vivre au Japon et nous faisons des efforts pour les aider.

Par exemple, au Japon, il est souvent organisé par les villes ou les écoles de petites fêtes à destination des étrangers, sur fond d’échange culturel international. Ces évènements sont organisés pour faciliter l’intégration des étrangers, les habituer à la vie au Japon et les aider à se faire des amis japonais. Les participants se présentent et parlent de leur pays d’origine. Nous échangeons bon nombre d’informations afin de mieux se comprendre mutuellement. Je suis encore en contact personnellement avec des amis que j’ai rencontrés durant une telle occasion, sachant que j’y ai participé il y a 10 ans. L’une d’elles vient des Philippines, l’autre de l’Indonésie.

Malgré cela, un français qui a pu participer à une fête de ce genre au Japon a raconté à mon mari : « Je suis allé au Japon une fois, pour mon stage de fin d’études, mais je n’ai pas vraiment aimé. […] Les japonais sont assez immatures : je suis allé à une fête, et les gens présentaient naïvement leur pays d’origine et ne faisaient que montrer des choses simples et évidentes. Je n’ai pas compris quel était l’intérêt de telles expositions. ».

Grosse différence culturelle, en effet, pour une telle méprise.

Vient maintenant mon anecdote. Lorsque je demandais à un employé du métro où je pourrais acheter un ticket, d’abord en utilisant l’anglais, il m’ignora. J’essayai encore, disant : « do you understand what I say ? », et puis j’essayai enfin en français. Il me regarda très impoliment – comme si je le dérangeais par mes mots – et dit : « ce n’est pas un guichet de vente, demandez à quelqu’un d’autre ». Cela ne m’était d’aucune aide et n’avait aucun sens. Evidemment, il ne dit pas ceci en anglais et était probablement incapable de le parler. On était à la station de métro de l’Opéra…

Comment ces personnes peuvent-elles être si méchantes et arrogantes envers des personnes en situation de faiblesse ? Ils ne voyagent peut-être pas assez. Mon mari me disait : “en général les français voyagent peu en dehors de leur pays et ils ne connaissent pas l’extérieur ; de plus, s’il partent néanmoins à l’étranger, ils se rendent souvent dans des pays plus pauvres en développement, en Afrique ou en Asie, et s’assurent ainsi des services luxueux à bas prix”.

Je fus choquée de voir à la télévision, après la catastrophe du tsunami, des vacanciers français baignant et se relaxant en maillot une plage thaïlandaise, alors que les locaux essayaient encore de réparer leurs dommages. L’un d’eux déclara : « notre présence, c’est bon pour eux parce qu’on leur apporte de l’argent ».

Habituellement, ce genre de personne, lors de son retour au pays étale son récit de voyage, soulignant la pauvreté du pays qu’elle a visité, prenant de haut les coutumes locales et confirmant que l’on est si bien chez soi. Personnellement, je pourrais en dire de même de la France si j’avais cet état d’esprit.

Je ne sais pas pourquoi certaines personnes agissent comme cela. Je ne suis pas seulement en train de parler de la France, ici citée dans les exemples puisque j’y vis, mais de chaque pays. Certains sont peut-être xénophobes ou haïssent les voyageurs, mais que sont-ils eux-mêmes quand ils voyagent ?

Plus de différences culturelles

En général, les japonais ont un complexe d’infériorité sur leur niveau d’anglais et les choses qui en découlent dans une situation nouvelle, à cause de ce sentiment « Haji ». Cela explique pourquoi nous sommes des travailleurs assidus et comment nous portons attention au étranger vivant au Japon. Nous travaillons dur pour surmonter ce Haji.

Au contraire, les français ont un complexe de supériorité. Ils méconnaissent les autres cultures et pensent qu’ils représentent le nec-plus-ultra mondial. Même sans travailler dur, ils pensent cela possible.

Je me rend compte d’à quel point les gens sont souvent superficiels ici. Par exemple, alors que je les vois tout excités par les nouvelles fonctions de leur téléphone portable, je me rends compte de leur retard. Ils se moquent des japonais mais ne savent pas comment cela est dans mon pays. Quant à l’anglais, ils se moquent de notre façon japonaise de le parler, mais je m’amuse aussi maintenant à leur parler en anglais quand un français essaye de m’importuner. Dans la rue, souvent quelqu’un me parle pour s’amuser ou se moquer, parce que je suis asiatique. Dans les lieux publics, les employés me traitent comme une nuisance parce que je suis aussi asiatique et que mon français n’est pas bon. Ils pensent que je leur suis soumise. Mais il suffit que je leur parle anglais, pour que leur arrogance fonde comme neige au soleil et qu’ils abandonnent vite, en raison de leur incompétence et pour ne pas perdre la face.

Pas seulement les japonais, mais tous les asiatiques rencontrent ce type de problème.

Pas que du négatif…

Evidemmennt, je tiens à préciser que tous les français ne sont pas tels que j’ai pu le dire plus haut. Une vielle dame française à qui j’avais demandé mon chemin dans la rue fut très gentille. Elle me montra le chemin, m’accompagna jusqu’à ce que je comprenne où j’étais, alors que c’était à l’opposé de son propre chemin. Je fus très surprise. Il y a donc bien sur des personnes très gentilles ici, les personnes ce dont j’ai parlé n’est pas la majorité.

L’enseignement de l’anglais

En France, de plus en plus de jeunes deviennent capables de parler anglais, mais il reste difficile de trouver quelqu’un qui parle anglais dans la rue. Un ami français m’a dit que les français ne prenaient pas l’anglais au sérieux, et qu’ainsi peu d’enseignant anglo-saxons se sentent motivés pour venir enseigner en France et préfèrent d’autres destinations.

Au Japon, l’enseignement de l’anglais est un élément clé des études. Il y a beaucoup d’enseignants d’anglais anglo-saxons. Les lycées aussi bien que les entreprises sélectionnent les candidats en fonction de leurs compétences en anglais et les écoles d’anglais prospèrent. Il y a deux types d’examens différents pour mesurer les compétences d’anglais. L’un s’appelle Eiken, qui est principalement visé par les étudiants, l’autre est le TOEIC. La plupart, jeunes comme vieux, étudient en visant le meilleur score possible au TOEIC.

Le test du TOEIC

Le Japon et la Corée du Sud comptent pour à peu près 87 % des candidats au TOEIC dans le monde :
*Japon 72%
*Corée du Sud 15%
*Autres 13%

Nous devons effectivement passer par ce test pour trouver un bon travail ou obtenir une promotion dans l’entreprise, d’où le grand nombre de candidats japonais. Bien qu’il soit difficile de trouver du temps pour étudier l’anglais (souvent pendant des cours du soir), c’est aujourd’hui presque une obligation. Quand je travaillais dans une école de langues à Tokyo, j’ai pu voir beaucoup de buisiness men et d’employés venir étudier après la sortie du travail. Je me suis souvent demandé à quel point leur vie pouvait être difficile. C’est ainsi qu’ils se battent contre le « Haji ».

Ainsi, comment d’autres personnes dont la langue a des liens plus étroits avec l’anglais peuvent se moquer de nous et être si méchantes ? Savent-ils que les japonais produisent la plupart des produits électroniques, télévisions, ordinateurs, voitures et bien d’autres produits ? Nous méritons plus de respect.